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Présidence française du Conseil de l’Union européenne : les agendas politiques français et européens plus que jamais liés

« Je suis venu vous parler d’Europe. « Encore », diront certains. Ils devront s’habituer parce que je continuerai. Et parce que notre combat et bien là, c’est notre histoire, notre identité, notre horizon, ce qui nous protège et ce qui nous donne un avenir ». C’est par ces mots qu’Emmanuel Macron, tout juste élu président de la République française, débuta en septembre 2017 son discours à la Sorbonne consacré à l’Europe. Dans une conclusion toute symbolique, le dernier temps fort de son quinquennat devrait être ainsi pleinement « européen », puisque la France, succédant à la Slovénie, sera à la tête du Conseil de l’Union européenne du 1er janvier au 30 juin 2022.

Une présidence du Conseil de l’UE, pour quoi faire ?

C’est peu dire que tous les services de l’Etat concernés sont mobilisés pour faire de la présidence française du Conseil de l’UE (la « PFUE ») un succès. La Représentation permanente de la France à Bruxelles a ainsi vu ses effectifs renforcés depuis octobre 2020, avec l’arrivée d’une soixantaine de personnes. Le Secrétariat général de l’Union européenne (SGAE), organe interministériel de coordination, s’est également doté de conseillers spéciaux. Pour l’occasion un Secrétariat général de la présidence française, rattaché au Premier ministre, a été créé en septembre 2020. Des consignes très claires ont par ailleurs été données aux différents ministres et à leur administration, afin d’assurer une approche européenne sur tous les dossiers dont ils ont la charge.

L’objectif du système de présidence tournante du Conseil de l’UE est d’impliquer au mieux les Etats membres tout en renforçant le sentiment d’appartenance européen de leurs citoyens. Ainsi, en 2007, la rotation a été adaptée pour s’assurer que les nouveaux Etats membres arrivés en 2004 et 2007 puisse assumer leur présidence sans attendre plus d’une décennie. Sur le plan institutionnel, présider le Conseil de l’UE implique avant tout des responsabilités qui relèvent de l’organisation et de la représentation. La France planifiera et présidera les sessions du Conseil à l’exception notable de celles dédiées aux affaires étrangères. Elle représentera par ailleurs le Conseil auprès des autres institutions européennes, par exemple lors des négociations interinstitutionnelles, dites « trilogues », avec le Parlement européen et la Commission européenne.

Si les missions de la présidence du Conseil se bornent à des questions logistiques et de représentation, pourquoi donc un tel activisme des services français au plus haut niveau ? L’une des principales raisons est que présider le Conseil de l’UE sous-tend la maitrise de l’agenda et des priorités de l’institution. Depuis 2007, le programme de travail est organisé en « trio » d’Etats membres qui se suivent sur une période 18 mois. Ce système permet de fixer des objectifs de long terme sur une base commune, dans laquelle se construisent les agendas semestriels. La France doit donc travailler avec la Tchéquie et la Suède qui lui succèderont.

L’histoire récente montre aussi que la présidence du Conseil de l’UE peut être cruciale dans le cadre de gestion de crise aigüe. En 2008, sous présidence française, c’est au nom de l’Union européenne que Nicolas Sarkozy s’était rendu à Tbilissi pour négocier un cessez-le-feu entre la Russie et la Géorgie[1]. C’est également à ce titre que le président français se démènera à l’automne 2008, dans le sillage de la chute de Lehman Brothers, pour apporter une réponse européenne concertée au début de la crise financière. En 2020, sous présidence allemande, Angela Merkel aura usé de toutes les ressources institutionnelles à sa disposition pour convaincre les Etats membres réticents d’adopter un plan de relance européen post-Covid d’une ambition inégalée, écartant de nombreux tabous comme le principe d’un endettement commun européen ou le développement de ressources propres de l’Union.

Les enjeux de la présidence française, entre priorités européennes et calendrier politique national

Parmi les dossiers majeurs pour les membres de l’ASF qui devraient être traités au cours de la PFUE, la Commission européenne doit publier dans les prochains mois ses propositions de textes visant à transposer les standards de Bâle III en droit de l’Union européenne. La proposition de révision de la directive sur les marchés d’instruments financiers (MiFID II) est attendue en fin d’année et devrait être précédée par celle concernant l’actuelle directive sur le crédit à la consommation. Les questions ayant traits à la souveraineté numérique, l’encadrement des nouveaux services financiers et la résilience des acteurs au risques cyber sont déjà débattues actuellement mais les discussions pourraient se poursuivre sous présidence française. Autres sujets sur lesquels la France est très impliquée, les propositions de texte portant sur le reporting non-financier et la promotion d’une gouvernance d’entreprise durable sont attendues au deuxième trimestre 2021 et pourraient faire l’objet d’accords interinstitutionnels début 2022.

L’agenda de la PFUE s’inscrit donc dans une dynamique européenne existante. Toutefois, Paris pourra être moteur de nouvelles initiatives et accélérer celles engagées qu’elle estime prioritaires. La France est donc en train de construire son programme à la fois avec ses partenaires européens et, pour son semestre, avec les parties prenantes politiques. Le secrétaire d’Etat aux affaires européennes Clément Beaune, a lancé la création d’un comité trans-partisan d’échange et de suivi du programme de la présidence auquel sont associés des représentants de chaque groupe parlementaire au Sénat et à l’Assemblée nationale. Au moment où ces lignes sont écrites, les arbitrages interministériels ne sont pas arrêtés mais les grands thèmes ayant trait à la souveraineté européenne, à l’État de droit, à la reprise économique et aux transitions numériques et vertes devraient constituer des axes forts pour le gouvernement, aussi bien à Paris qu’à Bruxelles.

En effet, la PFUE s’inscrira dans un contexte français très particulier. L’élection présidentielle française sera organisée entre le 8 et le 23 avril 2022, soit au milieu du « semestre français ». Si les candidatures d’Emmanuel Macron et de Marine Le Pen se confirment, les questions européennes pourraient constituer un axe fort de leur confrontation politique au cours de la campagne, comme elles l’ont été en 2017. Une « nationalisation » des sujets européens (ou une « européanisation » des sujets nationaux) devrait avoir donc lieu en France dès la fin 2021, avec une forte pression de Paris sur les équipes négociatrices à Bruxelles.

L’enjeu pour l’actuel président français sera d’engranger des succès politiques au premier trimestre 2022, alors que son quinquennat sera apprécié en partie à l’aune de ses succès – ou de ses échecs – européens. Il s’agira également pour Emmanuel Macron de pouvoir incarner l’avenir de la France et l’avenir de la France en Europe. Afin que le cycle de la Sorbonne ouvert en 2017 ne se referme pas en 2022.

Louis-Marie Durand, Directeur, Euralia

Article publié dans la lettre de l’ASF (Janvier – Mars 2021)


[1] A noter que depuis le Traité de Lisbonne de 2009, les responsabilités diplomatiques de l’Etat membre en charge de la présidence du Conseil de l’UE sont dévolues au président du Conseil européen et au représentant permanent de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, aujourd’hui respectivement Charles Michel et Joseph Borrel.

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