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Tribune

« Les assemblées citoyennes, nouveau législateur ? »

Une assemblée de citoyens tirés au sort a-t-elle vocation à mieux représenter l’intérêt général que des élus ? Cette question se pose quand on observe le crédit accordé aux travaux de cette assemblée comparé aux rapports et propositions rédigés par des parlementaires. L’absence de statut juridique de la Convention citoyenne en fait un ovni dans le paysage institutionnel français.

« Pompili envisage un moratoire pour interdire l’ouverture de nouveaux entrepôts d’e-commerce » titrait RTL le 17 juillet. Une proposition de loi portée par l’ancienne ministre de l’Ecologie, Delphine Batho, emboîte le pas de la ministre en septembre. Rapporteure du texte, la députée a auditionné les acteurs concernés par la mesure comme il en est d’usage. Parmi les représentants d’intérêt auditionnés, des organisations professionnelles représentants du commerce et de la logistique et une ONG apparaissent dans le rapport. Tous sont inscrits au répertoire de la Haute Autorité pour la Transparence de la vie publique (HATVP) comme la loi du 9 décembre 2016, dite loi Sapin II, les y oblige.

Un autre acteur est auditionné : la Convention citoyenne pour le climat. Le nom de ses représentants n’apparaît pas. Est-ce un représentant d’intérêt ? Non, elle ne semble pas correspondre à la définition de la loi Sapin II. Pourtant, ses représentants agissent comme tel lorsqu’ils écrivent au gouvernement pour que leur rapport entre dans le droit positif. Est-ce un décideur public ? Non, il ne s’agit pas d’un responsable public au sens de la loi Sapin II.

Pour légitimer les travaux de ces citoyens tirés au sort, il faudrait que le dispositif puisse être institutionnalisé pour ne plus dépendre du pouvoir exécutif

La rédaction du projet de loi issu des travaux de la Convention citoyenne est en cours. Une concertation doit être organisée avec les parlementaires dans les semaines à venir. Alors que le président de l’Assemblée nationale a désigné 25 représentants de tous les groupes politiques, la présidence du Sénat refuse pour l’instant de choisir des sénateurs pour siéger dans une instance qui n’est pas créée par une disposition législative. « Il ne faut pas confondre les pouvoirs exécutif, législatif et de contrôle », estime Gérard Larcher, président du Sénat. Pour lui, siéger dans des organismes extraparlementaires non cadrés par la loi expose les sénateurs à des «conflits d’intérêts».

Responsabilités. A la différence des élus, les assemblées de citoyens ne sont pas responsables devant le peuple d’une décision prise. C’est pourquoi, leur rôle ne peut être de remplacer les responsables politiques. Mais, en étant représentatif, il peut être un maillon supplémentaire de la décision publique.

« La responsabilité est la première dette du pouvoir pour les élus », selon le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier. La démocratie représentative est imparfaite et peut être grandement améliorée, notamment par l’instauration d’une dose de proportionnelle aux élections législatives, qui a l’avantage de rendre les décideurs publics responsables devant les citoyens. Ce n’est pas le cas avec le tirage au sort. Le vrai risque, c’est qu’au moment de l’application de la loi, en cas de difficultés, il n’y ait pas de responsable pour justifier et répondre de la direction qui a été prise.

Le tirage au sort est une expression politique possible et intéressante, certains candidats à l’élection présidentielle le proposaient d’ailleurs. Pour légitimer les travaux de ces citoyens tirés au sort, il faudrait que le dispositif puisse être institutionnalisé pour ne plus dépendre du pouvoir exécutif. Une constitutionnalisation du principe du tirage au sort pourrait être envisagée.

L’engagement public du gouvernement visant à transcrire le rapport de la Convention citoyenne dans la législation sans modification préalable peut se lire comme un contournement de la prérogative législative du Parlement

La difficulté réside dans l’engagement du président de la République de reprendre sans filtre les propositions de la Convention citoyenne pour le climat. Le Parlement doit-il être contraint par la Convention citoyenne pour le climat et la promesse présidentielle ? L’engagement public du gouvernement visant à transcrire le rapport dans la législation sans modification préalable peut se lire comme un contournement de la prérogative législative du Parlement. « C’était un exercice démocratique nouveau, le Parlement est là justement pour discuter des propositions qui sont faites, cela ne veut pas dire reprendre texto tout ce qui a été proposé » a répondu Bénédicte Peyrol, députée LREM influente au sein de la commission des finances, souhaitant implicitement rappeler le principe de séparation des pouvoirs.

Lors de la réforme constitutionnelle de 2008, la faiblesse du Parlement a été identifiée comme un élément important de la perte de confiance des citoyens dans la démocratie représentative. La revalorisation du Parlement était la clé de voûte de la réforme. Le fait qu’une assemblée de citoyens concurrence directement le Parlement douze ans après, est un élément majeur dans l’évolution de nos institutions. Cette évolution institutionnelle devra être débattue lors de la prochaine élection présidentielle et devra prendre garde de ne pas négliger la nécessaire concertation avec les parties prenantes ainsi que le renforcement de la transparence du processus de construction de la loi.

Thibault Loncke, consultant en affaires publiques chez Euralia.

Tribune parue le 28 octobre 2020 sur le site de L’Opinion, lopinion.fr

Thibault LONCKE

Senior consultant