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Editorial – Réguler la Fintech, un enjeu politique

Encore confidentielles il y a seulement quelques années, les technologies financières et leurs applications aux services financiers ne cessent de croître. Compte tenu de leur nouveau poids dans le secteur financier, une régulation s’impose. Pour autant, le choix des régulateurs face aux différentes voies d’actions qui s’ouvrent à eux est loin d’être évident. La Commission euro­péenne, dans un plan d’action publié le 8 mars 2018, a choisi une approche graduelle et peu contraignante, reflétant la difficulté de faire émerger un consensus européen sur la question de la régulation des FinTech.

Inévitables FinTech

L’essor des Fintech touche d’ores et déjà l’ensemble du secteur financier, impliquant une désin­termédiation croissante et de nouveaux enjeux de cyber-sécurité, de protection des données et de stabilité financière. La protection des consommateurs et investisseurs a sans doute été l’un des éléments clés ayant amené la Commission européenne à élaborer un plan d’action sur les FinTech. Toutefois, ce plan d’action, à l’image des nombreuses applications des technologies financières, est plus vaste que les simples questions de protection des cocontractants.

Prenant acte de la quantité d’applications possibles des technologies financières, la Commis­sion européenne mise, dans son plan d’action, sur le développement de technologies fiables et avancées, qui pourront par la suite s’appliquer au-delà de l’usage pour lequel elles sont initiale­ment développées. En particulier, elle annonce qu’elle continuera ses travaux pour catalyser le potentiel des technologies de registres distribués (DLT), parmi lesquelles la blockchain, travaillant notamment à sa standardisation pour faciliter l’interopérabilité. Dans le cadre de l’Observatoire européen de la blockchain, mis en place par la Commission dès février 2018, elle continuera ses efforts pour développer une infrastructure publique européenne de blockhain pouvant notam­ment servir au reporting réglementaire et à la numérisation des informations réglementées.

Une fenêtre d’opportunité à l’approche du Brexit

La sortie annoncée du Royaume-Uni de l’Union européenne, qui se matérialisera le 29 mars 2019, rebat les cartes en matière d’attractivité des places financières, non seulement à l’échelle européenne mais également à l’échelle mondiale.

Au niveau international, la ligne des superviseurs, tels que le Comité de Stabilité financière, est certes « même activité, même risque, même règles ». Si elle est reprise par la Commission européenne, cette maxime n’efface pas pour autant la compétition latente entre juridictions. Les décideurs européens – du moins la Commission et le Parlement européen – perçoivent bien la nécessité de faire de l’Union européenne un écosystème accueillant, qui pourra profiter des mouvements induits par le Brexit. C’est ce qui explique en large partie pourquoi le plan d’action présenté par la Commission européenne prévoit principalement des actions non-législatives, à l’exception notable d’une proposition législative sur le financement participatif. Plutôt que d’établir un cadre législatif commun, la Commission européenne prend le parti de dégager des bonnes pratiques et de laisser une importante marge de manoeuvre aux Etats Membres. Liberté est notamment laissée sur la question facilitateurs d’innovation, aussi nomméssandboxes, qui permettent de tester des produits et services dans un cadre réglementaire allégé.

L’enjeu est d’attirer et de conserver les jeunes pousses de la FinTech sur le territoire européen, en leur offrant un écosystème réglementaire dynamique et souple, à l’heure où le Brexit fait pla­ner le risque d’une fuite des talents vers les Etats-Unis ou les places asiatiques.

Un enjeu de compétitivité nationale
Face à des applications financières en pleine expansion et aux mouvements entre places finan­cières provoqués par le Brexit, capter les activités liées aux Fintech est en effet devenu un véri­table enjeu de compétitivité. Toutefois, sur ce point, la Commission européenne peine à ras­sembler les Etats Membres autour d’une ligne de conduite commune qui limiterait le risque de fragmentation réglementaire.

L’intérêt national tendant pragmatiquement à prendre le dessus sur l’intérêt européen, les capi­tales européennes ne semblent pas toujours enclines à adopter une stratégie collective lorsqu’il s’agit d’attirer les FinTech. Certaines se montrent ainsi plus proactives que d’autres, profitant de l’approche non-contraignante qui prédomine pour le moment au niveau européen. Ainsi, en France, l’AMF et la Banque de France se montrent particulièrement attentives aux FinTech, ayant à coeur d’accompagner leur développement et profitant d’un environnement politique encoura­geant les start-ups. L’enjeu de compétitivité est de taille, puisqu’il s’agit de faire de Paris un hub majeur des FinTech, alors que la City n’est plus en mesure d’offrir la sécurité juridique propice à un développement à long terme. Parallèlement, l’enjeu est également pour le secteur financier français de canaliser les nouvelles énergies venant des FinTech pour renforcer plutôt que mena­cer les acteurs traditionnels.

Le plan d’action de la Commission européenne sur les FinTech est la première pierre d’un édi­fice européen qui tiendra potentiellement de la cathédrale, compte tenu des multiples secteurs impactés par l’essor des FinTech. Si tous les acteurs européens ont d’ores et déjà pris conscience de l’importance de se positionner sur la question, le manque d’unité pourrait cependant jouer en défaveur de l’attractivité du marché unique.

 

 

 

 

 

 

 

Joséphine CART
Consultante, EURALIA

Article publié dans la Lettre européenne de l’AFTI (Mai 2018)

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