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Brexit et perspective de ‘no deal’: plus que l’intransigeance européenne, l’incapacité britannique à définir son avenir

Le rejet par la Chambre des Communes de l’accord de retrait (le ‘deal‘) négocié par les équipes de Theresa May et de Michel Barnier a rendu envisageable l’idée d’une sortie brutale, sans accord, du Royaume-Uni de l’Union européenne. Toutes les parties s’accordent pour dire qu’une telle rupture pourrait être dramatique à de nombreux égards – et pas seulement sur le plan économique.

Dans ce contexte, une campagne de lobbying semble avoir été lancée pour faire endosser la responsabilité de ce possible échec sur le dos de l’UE, en fustigeant notamment son ‘intransigeance‘. Alors que cette campagne de dénigrement semble trouver un certain écho en France, il semble important d’y couper court. Car, à quelques mois des élections européennes, se joue avec le Brexit une partie de l’avenir du projet européen.

1. Les principes de l’accord de retrait trouvé le 13 novembre 2018

La négociation du Brexit est séquencée en deux phases. La première concerne le retrait en lui-même, la seconde porte sur la relation future à construire entre l’UE à 27 et le Royaume-Uni. L’accord (le ‘deal’) trouvé le 13 novembre 2018 entre les négociateurs européens et britanniques concerne la première phase.

Il porte sur 4 points clés à savoir : le règlement financier qui devrait osciller entre 40 et 50 milliards d’euros à verser par le Royaume-Uni à l’UE, la protection des droits des européens vivants au Royaume-Uni et vice-versa, la période de transition et la question de la frontière nord-irlandaise.

C’est sur ce dernier point que les négociations échoppaient ces derniers mois et qui explique en grande partie le rejet de l’accord de retrait. L’enjeu ici est de s’assurer que le Brexit, quelle que soit la relation future entre l’UE27 et le RU qui doit encore être négociéen’implique pas le rétablissement d’une frontière physique entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande. Ceci, en assurant l’intégrité du Marché unique et du Royaume-Uni ainsi que la ‘souveraineté‘ britannique et européenne en matière réglementaire.

Le texte prévoit donc qu’un « filet de sécurité » (ou ‘backstop’) sera activé si aucun autre dispositif n’est trouvé avant la fin de la période de transition, fixée le 31 décembre 2020. Le ‘backstop’ implique notamment le maintien du Royaume-Uni dans l’Union douanière, le respect par l’Irlande du Nord de l’essentiel de la réglementation européenne sur les biens et des contrôles entre les Îles de Grande Bretagne et d’Irlande pour les biens. Le backstop sera levé dès qu’une alternative pourra être concrètement mise en œuvre.

Ainsi, sur un texte de près de 600 pages négocié pendant 18 mois, un seul aspect de l’accord May-Barnier a conduit à son rejet : le fameux filet de sécurité irlandais.

2. Le filet de sécurité irlandais, symbole d’un choix britannique impossible ?

Ce dispositif ‘de secours‘ permet aux européens d’anticiper tous les scénarios de la seconde phase des négociations sur les relations futures. En effet, c’est le Royaume-Uni qui décidera, en toute souveraineté, ce qu’il souhaitera construire avec l’Union: accord de libre-échange de type Canadien, modèle suisse, norvégien, règles internationales de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), ou autre. Certains dispositifs, comme le modèle norvégien, rendraient d’ailleurs le backstop inutile, contrairement aux règles de l’OMC. Chaque système comprend en effet ses avantages et ses inconvénients, ses droits et ses obligations.

La priorité européenne est de s’assurer que l’intégrité du marché unique sera préservée quel que soit le système choisi par le Royaume-Uni, ce qui peut difficilement être reprochée aux 27 Etats membres, qui une fois n’est pas coutume, font blocs. La position européenne est ainsi aussi bien défendue par la France d’Emmanuel Macron que par la Hongrie de Victor Orban.

 « Il est clair que cette chambre ne soutient pas cet accord. Mais le vote de ce soir ne nous dit rien sur ce qu’elle soutient» a commenté Theresa May quelques minutes après que son ‘deal’ ait été rejeté par le Parlement britannique. La grande difficulté réside dans le fait que la classe politique britannique est fracturée entre des camps irréconciliables, tous minoritaires : partisans du maintien du Royaume-Uni dans l’UE, d’un Brexit ‘soft’ ou ‘hard’, du deal de Theresa May ou d’un no deal… Aucune majorité pour un projet alternatif crédible respectant la souveraineté européenne et les intérêts de ses Etats membres n’existe à la Chambre des communes aujourd’hui.

‘Ces derniers mois, les Britanniques ont davantage négociés avec eux-mêmes qu’avec l’UE‘, déclarait désabusée un diplomate européen il y a quelques jours. Le Brexit est en réalité une impasse britannique, qui révèle l’incapacité de ses représentants à définir le destin partagé qu’ils souhaitent bâtir avec l’UE.

Louis-Marie Durand, Directeur, EURALIA

Louis-Marie Durand

Directeur